Ombre de sang

Prologue : Le souffle d’une vie

Un vent puissant et chaud parcourait le désert de Sograt, décourageant les rares voyageurs s'y aventurant par des bourrasques incessantes mêlées de sables fins. Au milieu de cet interminable océan doré se dressait la cité du désert dans toute sa splendeur, entravant de ses remparts le déchaînement des éléments. Si forte et immuable dans ces conditions difficiles, Morroc était imprégnée de la détermination des hommes... Mais aussi de leur folie. Derrières ses murs aux couleurs sable paraissant si infranchissables, le chaos régnait en maître au côté de la pauvreté. La ville elle-même souhaitait crier son désespoir, cependant son hurlement d'agonie n'était perceptible que dans le sifflement du vent.

Néanmoins, qui se préoccupait dans ces temps troubles des murmures des rafales ?
Dominant le désert du haut de son trône de sable, une fine silhouette guettait l'horizon, défiant les bourrasques mais écoutant calmement leurs plaintes. Au coeur de ce paysage de bleu et d'or, elle s'était imposée avec ses couleurs rouge sombre, tâchant la nature de ses nuances impures. Elle aurait pu se trouver en forêt que sa présence aurait été tout aussi désagréable. L'odeur du sang lui collait à la peau et même la nature reniait son existence.

Un soupir las s'échappa de sa bouche et fut rendu inaudible par les bourrasques. Elle réajusta sa cape qui menait un combat silencieux face aux éléments, puis se dirigea à pas mesurée vers Morroc, le refuge de scélérats. Un endroit parfait pour une personne aussi abjecte...

Chapitre 1 : Renard parmi les bêtes

Le tumulte du vent avait été rapidement remplacé par celui de la foule, tous hurlant des encouragements aux bêtes se battant en contrebas. Plus le combat avançait, plus les cris et bousculades s'intensifiaient. L'endroit pullulait d'humains mêlant des odeurs de sueur à une saveur tout autre... Le sang.
Dans le souterrain d'une maison de Morroc, les duels illégaux se multipliaient, étant pour certains un gagne-pain intéressant et pour d'autres une manière de satisfaire leurs pulsions meurtrières.

La silhouette vermeille s’était perchée sur une caisse en hauteur qui supportait aisément son poids contrairement à d'autres. Quelques regards envieux lui étaient parfois lancés pour sa place avantageuse. La lutte lui apparaissait clairement d'un tel endroit.

Un jeune homme aux cheveux longs et violets semblait faire face à une montagne de muscles. Il était loin de faire le poids dans les deux sens du terme ce qui voulait dire deux choses: Soit il était fou, soit il maîtrisait parfaitement son art. La silhouette se redressa lentement, semblant quelque peu intéressé par le combat. Beaucoup avait dut parier sur le plus gros gabarit, cependant l'ombre ne pensait pas qu'elle aurait fait le même choix...
Ses yeux, d'une couleur vive et étrange, semblaient briller d'une détermination rare chez ces guerriers qui n'étaient présent ici que par amusement, orgueil ou désespoir.

- Il t'intéresse le nouvel animal de foire, Renard ? s'exclama une personne non loin de lui en contrebas.

Celui que l'on surnommait Renard pencha doucement la tête vers le sol, faisant preuve d'un mépris et d'un orgueil qui en aurait agacé plus d'un. Mais la personne lui ayant adressée la parole semblait bien le connaître et ne se démonta pas.

- C'est une belle bête même si elle n'est pas très grande.

Comme pour appuyer ses dires, le colosse semblait être mis en difficulté et se plia sous un coup relativement puissant.

- Plutôt du genre enragé comme toi et à démonter les adversaires pas qu'avec les muscles, sauf que c'est l'espoir qui lui donne autant de puissance, toi c'est plutôt le sang, non ?
- Hmm... Tu commences à en savoir trop, il serait tant qu'on se sépare.
- Tu m'as déjà faussé compagnie plusieurs mois sans nouvelles ! Se plaignit bruyamment l'interlocuteur, où étais-tu encore passé ?!
- Ici ou là-bas... répondit-il d'un air désinvolte, j'ai été un moment à Payon puis j'ai voulu faire un petit détour vers Prontera avant de revenir me terrer dans cet endroit.
- Prontera ? Un petit détour ? Tu aurais pu t'absenter moins longtemps, tu sais combien tu me rapportes tout de même !
- Voyons... Si je m'étais éternisée ici, je ne t'aurais plus rien rapportée vu que ma réputation aurait grandie.
- ...Pas faux, grommela l'individu.

Effectivement, en général il rapportait beaucoup. Même aux combats avec armes blanches, la plupart des parieurs se fiaient à la musculature des guerriers, offrant un joli pactole aux rares osant parier sur un poids léger comme lui.
Le combat se termina par la victoire du guerrier aux cheveux en bataille, il semblait encore relativement en forme... Pendant un instant, le renard sembla réfléchir avant d'enfin reprendre la parole.

- Je vais me battre vieux fou, contre celui-là. Parie tout ton argent, je ne compte pas perdre.

Sur ses mots, il sauta du haut de la caisse et se dirigea d'un pas résolu vers l'arène, se frayant un chemin dans la foule à coup d'épaules. Arrivant à proximité de l'organisateur, il cria de nouvelles paroles:

- Réserve moi une place, je passe maintenant ! Combat à armes blanches bien sûr.

L'organisateur grogna un instant, mécontent qu'on lui change sa liste de duels à la dernière minute mais préféra ne rien dire, après tout les spectateurs étaient friands des combats armés, ils donnaient plus de piquants dans les deux sens du terme.
Le renard passa par-dessus la barrière le séparant de l'arène et se posta face au guerrier aux yeux cyans. Le combattant le détailla sans un mot, même s'il trouvait son adversaire quelque peu atypique, sa méfiance ne retomba pas pour autant, résolu à en finir rapidement avec ce nouveau duel et toucher l'argent.

Chapitre 2 : Au cœur de l’arène

Pendant un instant, le temps semblait s'être arrêté. Les deux guerriers s'observaient, immobile. Mais le signal n'arrivait pas et la tension se faisait palpable.

L'organisateur revint enfin, une épée à la main. Il l'envoya sans ménagement au guerrier désarmé qui la rattrapa au vol qui entreprit quelques moulinets pour tester les capacités de sa nouvelle compagne. Quant au renard, il sortit une paire de katars qui semblaient être des plus simples et courants. A première vue, ils paraissaient beaucoup moins dangereux que la lourde épée mais le guerrier ne s'y trompa pas. Il possédait un net avantage pour la portée et la force sauf que le renard avait la vitesse. Tout se passerait bien s'il le gardait à bonne distance...

Le signal retentit soudainement et la foule, à l'instant calme, se raviva rapidement poussant des cris d'encouragements aux combattants. Les guerriers cessèrent de se toiser pour se mettre en garde. Contre tout attente, l'homme en rouge adressa la parole à son adversaire avant d'entamer le duel.

- Comment t'appelles-tu ? demande t-il suffisamment fort pour que le guerrier l'entende sans que la foule ne puisse comprendre ses paroles.
- On me surnomme le Corbeau blanc, répondit-il froidement.
- Et bien, on me surnomme le renard. A croire que tous les fous pénétrant dans l'arène sont des animaux.

Un mince sourire en coin se dessina sur ses lèvres en même temps qu'il reculait sa jambe droite pour mieux se propulser, adaptant une position inhabituellement près du sol. Le guerrier se préparait à le réceptionner avec sa large épée dès qu'il tenterait de venir au corps à corps mais l'éclair rouge passa sa garde avec une efficacité redoutable, prenant son adversaire au dépourvu. Pendant sa course, il avait effectué une roulade au sol évitant l'arme de son ennemi au moment le plus inattendu. La pointe de son katar s'enfonça douloureusement dans les côtes de son adversaire avant que, d'un bond, il reprenne de la distance évitant de justesse le retour de lame.
En quelques secondes, il venait de prouver sa maîtrise des lames, rapide et efficace. Même si la force de ses coups laissait beaucoup à désirer, il savait viser les endroits les plus douloureux. Le guerrier aux cheveux mauves se tenait désormais le côté, regardant d'un oeil critique sa blessure. Le katar avait pénétré entre les côtes ne recevant aucune résistance et rendant ses souffrances encore plus insupportables. Même si l'entaille saignait abondamment, il se repositionna pratiquement aussitôt, prêt à recevoir une nouvelle offensive. S'il voulait vaincre, il lui fallait utiliser plus que son épée...

Le renard relança une nouvelle offensive et passa sous la garde de son adversaire en roulant cette fois-ci sur le côté, la lame ne suivit pas le mouvement rapide et une nouvelle ouverture s'offrit à l'attaquant. Mais il fut arrêté dans son élan par un coup de genou particulièrement puissant reçu en plein ventre. Sous le coup de la douleur, il se crispa et oublia un moment son objectif, laissant tout juste suffisamment de temps au défenseur pour le projeter au loin. Sonné par le choc, il eut à peine le temps de faire un écart sur le côté afin d'éviter la lame imposante qui retomba dans un bruit sourd sur sa précédente position. Ne perdant pas de temps, le guerrier dirigea son épée vers la nouvelle position dans une attaque horizontale difficilement esquivable. Au lieu de représenter le coup de grâce, ce fut une opportunité pour le renard qui sauta à temps pour éviter l'attaque mais suffisamment tard pour s'en servir d'appui. Forçant son adversaire à plier sous le poids de son arme, il se propulsa dans sa direction pour lui asséner deux coups de taille dans les épaules. Le bretteur tomba à genoux en retenant un cri de douleur et eut tout juste le temps de se mettre en garde pour éviter un coup fatal.

Son visage n'arborait plus sa sérénité habituelle, il s'était déformé sous une rage durement contrôlée. Le sang versé semblait augmenter sa puissance et sa ténacité. Ses grands yeux azurs que l'on aurait associé au ciel ressemblait désormais plus à de la glace, froide et résolument distante. L'épéiste s'attarda un court instant à contempler ce changement radical. Etrangement, les traits de son adversaire étaient presque trop fins pour être ceux d'un homme et dans cette expression dure, ils n'avaient plus rien d'enfantins.

Les deux guerriers recommencèrent à se toiser, reprenant tout deux leur souffle. La lutte avait duré moins d'une minute mais si intensive que la fatigue les saisissait déjà. Ils savaient tout deux qu'il leur fallait maintenant en découdre rapidement. Accordant à peine un regard à l'épéiste, l'éclair rouge repartir à l'assaut comptant cette fois-ci sur une vitesse fulgurante pour arriver à ses fins plutôt qu'à l'esquive. Le guerrier l'attendit patiemment en position, suivant ses mouvements d'un regard attentif. Mais durant un court moment, le rouge sombre sembla s'estomper et son adversaire n'était plus visible. Ecarquillant les yeux, il ne revit ses contours clairement que lorsqu'il fut juste sous ses yeux. Prise d'une étrange folie, le bretteur profita de cette occasion pour enfoncer férocement son front dans celui de son adversaire, mettant fin à son offensive. Le renard, sonné, tituba en reculant. Le guerrier secoua sa tête frénétiquement et reprit ses esprits beaucoup plus rapidement que son ennemi. Profitant de l'occasion, il s'élança en dirigeant son épée de façon à porter un coup d'estoc.

Le renard ne réagissait pas.

Chapitre 3 : Rage de vivre

Des gouttes de sang perlaient sur son front, gouttant lentement sur ses joues. Ces larmes de sang lui brouillaient la vue, il avait l'impression de n'entrevoir qu'un ensemble flou de couleurs mélangées. Les cris de la foule étaient toujours aussi vifs, lui vrillant les tympans.

Quel incapable...

Lentement, il cligna des yeux. Une vague silhouette se dessinait devant lui, se rapprochant inexorablement. Le sol semblait se dérober sous ses pieds, il chutait... Chutait...

Même mourir serait trop dur pour toi !

L'instinct se réveillait progressivement en lui. Profond, intense. L'instinct de survie. La rage semblait redoubler pendant que la douleur s'estompait... Lentement.

Rends toi utile, meurs !

Tout sembla soudainement s'éclaircir. Le clair de l'épée était facilement reconnaissable. Lentement, il attendit sa venue, guettant le moment propice. Au dernier moment, il se déroba laissant la lame couper l'air. Il s'était glissé à une vitesse remarquable sous la garde de son adversaire, son katar se trouvant à quelques centimètres de la gorge du bretteur. Le temps sembla se figer un bref instant tandis que les combattants échangeaient un regard. Puis le signal de la fin du duel fut prononcé.

Tu sais, les renards feraient de bons animaux de compagnie s'ils n'attrapaient pas si facilement la rage... Tu n'échappes pas à la règle. Ce que te reproches vraiment Shafek, c'est ton manque de docilité...

Sa rage prenait le dessus sur sa raison. L'odeur du sang, son katar si près de sa gorge... Une folle envie de tuer se répandait dans ses veines. Amères.

Rappelle toi d'une règle fondamentale. Tu n'es pas un meurtrier, tu es un assassin. Tu ne tues pas pour le plaisir mais parce qu'on te l'ordonne.

Lentement, son arme se détacha de la gorge de l'épéiste. Lentement, sa main revint le long de son corps. Lentement, il se retira de l'arène...
Derrière lui, les clameurs et les lamentations se faisaient puissantes. Le combat avait été rude, imprévisible, et c'était achevé par la victoire de l'homme en rouge.
Son crâne lui faisait horriblement mal mais sa douleur n'était rien comparée à celle du bretteur qui était resté sur place. La série de duels se clôturait par le leur, les deux combattants n'étant pas en mesure d'enchaîner un autre duel.
La silhouette se retira prenant à peine le temps de saisir son butin. Personne ne pensa à le retenir pour un quelconque autre motif. Il ne valait mieux pas.



Prenant une grande bouchée d'air à l'extérieur, l'homme en rouge compta rapidement le joli pactole qu'il avait remporté.

- 10 000 zennys ? Comme si ça m'importait...

D'un soupir las, il jeta le paquet derrière lui, se retirant de la ville les mains dans les poches. Quelques enfants mendiant dans le coin se précipitèrent sur l'argent, se disputant les billets jusqu'à en déchirer quelques uns, tels des vautours.
A quoi aurait pu lui servir cet argent après tout ? Il n'avait aucun but... Aucun. Seule la liberté comptait à ses yeux au final.

Il ne pensa pas un seul instant aux blessures terribles qu'il avait infligé au bretteur ni à sa grande détermination à récupérer ce pauvre paquet d'argent. Non, pour le renard, cela avait été juste un beau combat.

Chapitre 5 : Spectre du passé

Shun se réveilla en sursaut. L'instant de stupeur passé, il lui semblait que le vent était bien plus frais qu'à Morroc. Evidemment... Il n'était pas dans le désert mais bel et bien allongé sur l'herbe, à Payon. Ces cauchemars avaient le don de le troubler sans véritables raisons. Il aurait souhaité les chasser définitivement de son esprit, mais les spectres du passé revenaient toujours à la charge...

Sa tête lui faisait étrangement mal et, encore une fois, il tâta son front cherchant la signification d'une telle souffrance. Grimaçant sous le contact douloureux, son dernier duel à Morroc lui revint à l'esprit. Deux jours que cet hématome lui collait au front et la plaie venait tout juste de cicatriser. Il manquait cruellement de patience et plus la guérison avançait, plus elle le piquait. Au final, il avait retardé son avancée en la grattant abondamment. Khiel avait fini par lui bander doublement le front afin d'éviter qu'il la détériore d'avantage.

- Tu veux avoir une cicatrice au milieu du front ma parole ? Arrête d'y toucher ou je vais finir par te ligoter !

Shun bascula sa tête en arrière pour voir son interlocuteur. Un homme d'une trentaine d'années aux cheveux châtains coupés aux oreilles se trouvait derrière lui. De toute évidence, c'était Khiel.

- Ca me démange méchamment.
- Je peux te dire aussi que ça me démange méchamment de te coller mon poing dans ta tête.
- Essaie pour voir...
- J'ai rarement vu quelqu'un d'aussi têtu ! Et d'aussi peu reconnaissant par dessus le marché !
- Quoi tu ne voulais tout de même pas un "merci" pour m'avoir empêché de me gratter ?
- T'es pire que ton père parfois.

Ces dernières paroles mirent radicalement fin à la discussion. Shun se renfermant dans son mutisme et Khiel qui remarquait son manque de tact. Néanmoins aucune excuse ne fut prononcée et l'homme aux cheveux châtains finit par s'éloigner, répondant inconsciemment au désir du renard.
Seul la présence de Nyakun, le smokie, avait empêché que la colère du jeune homme ne se révèle au grand jour. Un simple couinement interrogateur avait chassé la colère froide de son maître. Avec une douceur inhabituelle, Shun passa sa main dans le pelage de l'animal afin de le rassurer, esquissant une moitié de sourire triste.

C'était l'un des rares sujets qui lui faisait perdre son sang-froid et une simple comparaison avec Shafek lui était insupportable. Pourtant, il était bien le fils de son père et lui ressemblait sur certains points. Mais Shun continuait de nier l'évidence, vivre dans la tromperie était un art qu'il maîtrisait presque aussi bien que les katars. Ce qui était dérangeant n'avait que deux places: Loin de lui ou mort par terre, mais certainement pas dans son esprit. Sauf que les rêves échappaient aisément à cette règle...

Chapitre 6 : La bourse ou la vie

Le tavernier essuyait ses verres lavés avec énergie. A force de reproduire toujours le même mouvement, le torchon était devenu humidifié au possible, le forçant à changer à nouveau. Néanmoins ses verres étaient toujours aussi secs et propre après ce travail de maître, il n'avait même plus besoin de regarder ce qu'il faisait. Habituellement, son regard balayait donc la taverne à la recherche d'un quelconque problème qui demanderait à être réglé. Mais ce jour-là, il était résolument fixé sur le client juste en face de lui.
C'était une jeune homme qui n'avait même pas atteint la vingtaine ; on aurait même pu dire qu'il n'en avait que quinze à cause de ses traits trop fins pour être ceux d'un adulte. Il était à moitié avachi sur le bar, son regard azur perdu dans le contenu de son verre presque vide. Mais ce n'était pas l'alcool qui le rendait si morose mais bien une extrême lassitude. Le tavernier hésitait presque à lui donner la lettre qu'on lui avait confié...

- Hey, petit, finit-il par murmurer.

Shun leva les yeux vers le tavernier, sans bouger le cou. Petit... Il commençait à se lasser de cette appellation. Pourquoi les autres avaient le droit à un "Hey toi !" et lui à un "Hey petit !" ? C'était beau de faire dans l'originalité mais il n'aimait pas regresser dans les deux sens du terme.

- Quoi ? répondit-il d'un air mi-fatigué mi agressif.
- J'ai une lettre pour toi.

Le tavernier fit glisser la lettre sur le barre et Shun l'attrapa avant qu'il n'est pu finir son mouvement. Bah voyons, une mission certainement... Les clients étaient suffisament peu nombreux pour qu'il puisse se permettre de l'ouvrir ici. Se redressant sur les coudes, il déplia lentement le pli pour le lire. Puis le renard resta figé sur place durant plusieurs minutes à relire la lettre, lentement. Finalement, après avoir réglé la note du tavernier, il sortit de la taverne d'un air perplexe. Nyakun l'attendait à la sortie, roulé en boule sur un tapis de mousse, il quitta sa place confortable pour emboîter le pas de son maître, un léger couinement lui annonçant sa présence.
Le ciel arborait une couleur noir charbon menaçante, il grondait par moment son mécontentement. Les habitants de Payon rentraient progressivement chez eux, ne souhaitant pas s'attarder dehors en sachant l'orage si proche.

- Quel temps de chien...

Il avait l'impression que le ciel le mettait en garde contre sa mission. Mais vu la somme qu'elle pouvait lui rapporter, il n'était pas encore sûr de la jeter... Mais à quoi bon avoir une somme astronomique dans sa bourse s'il était étalé au sol, mort ?

- Pfff...
- Qu'est-ce que tu as encore à soupirer ? demanda une voix près de lui.
- Tu me proposes des missions trop risqués, Khiel, répondit Shun sans prendre la peine de repérer son interlocuteur, si tu crois que la faire à tes côtés me rassure, tu te trompes fortement !
- Jamais content, n'est-ce pas ? Tu râles parce que tu t'ennuies avec des missions simples et tu râles aussi sur les compliquées à cause du risque trop important.
- Tu m'as très bien compris, cette mission est suicidaire et non compliquée.

Khiel haussa les épaules et leva les yeux au ciel, exaspéré par son compagnon. Shun remarqua son mouvement et se tourna sur son côté droit pour enfin voir son interlocuteur.

- Et tu as un informateur au moins ?
- Je croyais que cette mission ne t'intéressait plus ?
- Tss...

Un mince sourire se dessina sur les lèvres de Khiel. Shun lui lança un regard noir pour unique réponse mais son compagnon avait bien compris qu'au final, il allait accepter.

- Oui, j'en ai une, très compétente tu verras. Pour une mission aussi dangereuse, il vaut mieux.
- Bon... D'accord, je marche. Mais je te préviens, ce sera le prix de ma liberté. Ne t'attends plus à ce que je retravaille avec toi ensuite.
- Ce sera aussi le prix de la mienne, je pense prendre ma retraite, je me fais vieux !
- N'importe quoi...

Mais il avait raison sur un point : Les assassinats étaient usants à la longue et le danger toujours plus grand. Celui-ci serait le dernier si tout allait bien... Il pourrait ensuite voyager au gré du vent la bourse bien remplie. La somme conviendrait amplement à le nourrir jusqu'à ces derniers jours. Du moins, s'il n'y laissait pas sa vie.