Même l'aurore a un commencement ...

Chapitre 1: Avant les premières gouttes de sang ...
Introduction d'un conte déchu.

Chaque soir, lorsque la petite Calypso se couchait, elle disait être la plus heureuse de ce monde.
Personne n'aurait pu égaler le bonheur dont elle était proie, une allegresse qu'elle pensait inepuisable car elle n'avait connu jusqu'ici que des intenses moments de joie.
Avant de s'endormir, elle jetait un coup d'oeil dans la chambre de sa petite soeur Yuka, toujours pour s'assurer si elle aussi allait bien.
Lorsqu'elle eut franchi le seuil de sa chambre, que l'on aurait plutôt caractérisé d'une antre de princesse, une domestique lui apporta une couverture neuve qui sentait bon la lessive d'antan. Voilà comment se déroulait le rite de sa couchée.

Car oui, la journée de Calypso de Yunea était réglée comme du papier à musique, et c'est le cas de le dire.
Elle se levait aux aurores chaque journée, faisait sa toilette, et son valet personnel prénommé Leren venait orner sa chevelure de quelques fines parures, très simples en soi, mais d'une délicatesse irreprochable.
Sa mère qui était déjà levée venait lui claquer deux baises sur ses joues, tout en lui apportant une toilette luxueuse, parée de grenats ou d'emeraude.
Souvent, Yuka et elles étaient habillées pareilles et riaient en s'apercevant pour la première fois de la journée.
Après ces quelques simplicités,les deux enfants étaient conviées à des cours particuliers qui leurs étaient enseignés par des professeurs prestigieux. De haute renommée,leurs instructions étaient aussi excellentes que leur aisance aux politesses.
Le matin était dédié aux cours de solfège,comprenant ainsi deux instruments de leurs choix. A la moitié de la matinée, elles inversaient leurs salles, Calypso se retrouvait donc à la maîtrise de l'épée et de l'escrime que lui enseignait son père.
Zeliante de Yunea était un musicien talentueux, ralliant féerie à orchestre subtile. Mais avant cela, il avait intégré la garde de Morroc, son sang noble le promettant à un avenir opulent.
Fin tacticien, il avait pour but d'inculquer ses principes à ses deux filles.
Celles-ci le considéraient comme quelqu'un de sévère, rien n'échappait à son regard: Il était précis et consciencieux, ne tolérant aucun débordement de leurs parts.
Kamil de Yunea, sa femme et leur mère, était plus douce et naïve. C'était pourtant une magicienne elle aussi très reconnue, et elle leur inculquait les notions de l'Art: Musique, Dessin, Ecritures, Théâtre ... Certaines catégories faisaient défauts à Calypso comme pouvaient lui être tout à fait bénéfiques. Des enseignements qui lui étaient indispensables car étant promise à la tête d'un pays, elle devait être parfaite.

A Amatsu, sa vie était formidable. Une vie normale, une vie que n'importe quelle enfant de son âge aurait souhaité.
Elle avait deux copains, une brute avec qui elle n'arrêtait pas de se chamailler, et un garçon très intelligent avec qui elle adorait parler.

Et lorsque la nuit, Leren lui racontait des histoires sous l'Arbre Géant, elle aimait regarder les étoiles en l'écoutant attentivement. Aujourd'hui encore, elle a du mal à se l'avouer, mais elle en était un peu amoureuse.

C'était la vie de Calypso.

Ce monde qui l'entourait était si beau et si pur, il ne demandait... Qu'à être souillé.

Chapitre 2 : Le début de la Fin
Le parfum du déclin

Une main retourne fébrilement une boule en verre, d'où s'échappe de légers flocons, et la repose sur le bord de la fenêtre. Son regard azur transperça le mur de neige. Il s'abattait sur une ville paisible, endormie sous un épais manteau d'hiver.
Et un sourire naquit entre ses lèvres. Sa bouche souffla contre la paroi du dôme, avant qu'elle n'efface la buée du revers de sa manche.

" Vous prenez bien soin de l'ancien jouet d'Helayne. Ca me fait plaisir. "
Caly se retourna, extirpée de ses rêveries. Leren était accoudé au mur de sa chambre, tandis qu'elle régnait devant l'énorme baie qui donnait sur tout le quartier riche d'Amatsu. D'ici, elle pouvait même apercevoir les branches de l'Arbre qui se découpait en ombres chinoises lors du coucher de soleil, ou même tous les marchands ambulants qui soldaient leurs prix.
" Ca me fait rêver. Nous n'avons jamais eu de Noël ici, je me console comme je peux ... "
Une moue se prononça sur les lèvres de la petite fille.
" Alors je me console à travers cette boule à neige, et j'imagine plein d'histoires qui s'entre-croiseraient entre les rues de la ville. "
Leren abreuva un silence et demeura pensif un long moment, avant de venir s'asseoir auprès de la jeune souveraine. Il lui ébouriffa les cheveux avec ce sourire bon qu'il possédait depuis le premier jour.
" J'étais justement venu pour vous annoncer quelque chose, déclara le domestique. Quelque chose ... Qui était normalement un secret.
- Je peux savoir ? Leren ? S'il te plaît, je m'ennuie à mourir en ce moment ! Papa et maman sont tellement occupés, et les Professeurs ne viennent même plus.
- C'est que ... Je ne devrais pas vous le dire. Jurez que vous ne parlerez pas de mon débordement à vos parents.
- Oh oui !! Juré, croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en Enfer ! "
Ses yeux étaient illuminés par un espoir touchant, rimant avec sa pureté encore enfantine. Ce genre de naïveté timide que l'on est parfois contraints à détruire ...
" Une pièce a été proposée aux enfants de toutes les familles de la ville.
- Une pièce ? De l'argent ?
- Non. Une pièce. De théâtre. "
Calypso ouvrit de grands yeux, toute parole cueillie au bord de ses lèvres.
" Vous jouerez le rôle de l'étoile des Glaces, perdue dans les contrées enneigées de Lutie ... Votre jeune soeur interprétera une gentille fée qui vous guidera jusqu'à la ville, où vous rencontrerez de charmantes personnes.
- C'est pour de vrai ... ?
- Cependant, la pièce se déroulera à Amatsu. Vous escorter à Lutie-même, malgré le statut pacifique de la ville, ce serait ... Trop dangereux. "
Calypso lui sauta au cou, se fichant éperdumment de l'endroit où elle allait enfin jouer sa première prestation. Enfin, elle allait mettre en application les leçons imbuvables de ses professeurs, enfin elle allait savoir ce que cela faisait, être quelqu'un d'autre ! Cesser de jouer cette promise vouée à ce monde odieux, cesser les bonnes manières et autres révérences de style, et ce pendant le temps d'une pièce. Elle sera ce qu'elle a toujours rêvé d'être: Une étoile. Une simple étoile à la fragrance lointaine, aux quelques filaments argenté, qui ne fait que scintiller pour guider les personnes égarées.
Car dans ses longs moments de solitude planait le fruit de ses rêves: Calypso s'imaginait pirate ou nomade, vivant sous la pluie et passant ses nuits à la belle étoile. Que d'aventures qu'elle croyait ne jamais vivre ...
Leren commençait à se lever, mais la main de la jeune princesse retint un pan de sa chemise.
" Attends, Leren ! Je peux ... Te demander une chose?
- Tout ce que vous voudrez. "
C'est alors qu'elle baissa la tête, regrettant presque son geste. Honteusement, elle lui demanda sans le regarder dans les yeux ...
" Pourquoi Papa et Maman se disputent-ils sans arrêt ? Ca me fait très très peur, je les entends de ma chambre. Ils sont tout le temps absents ces temps-ci ... "
Leren resta statique un court instant, confronté à la candeur de la demoiselle. Que lui répondre? Lui mentir et assumer les lourdes conséquences ou lui livrer une vérité amère ?
Il s'agenouilla de nouveau auprès d'elle.
" Vos parents traversent une période difficile. Ca arrive, ne vous inquiétez pas, dans quelques temps tout sera comme avant ... Les gens qui s'aiment sont obligés de se blesser. C'est le cas de vos parents, princesse. Maintenant, il faut dormir. "
Leren s'éclipsa par l'entrée de la chambre, plus rapidement que d'habitude, comme pour échapper à d'autres questions embarassantes. Calypso emporta son dernier regard, regard qui était bien inquiétant car fort peu convaincu ...
Elle se dit alors que Leren était toujours sincère avec elle et qu'il avait sans doute raison, ce qui eût pour effet de balayer ses idées noires.

L'héritière s'endormit enfin, gardant en tête la seule bonne nouvelle de la journée: La pièce de théâtre ... Etre quelqu'un d'autre ...
Ce quelqu'un d'auitre qui finira, dans les lois d'une tragédie formelle, à se refermer sur elle ... Quoi qu'il arrive.

Chapitre 3: Parmis les étoiles
Il y en aura toujours une pour veiller sur toi ...

Le coeur battant, Calypso observa d'un regard circulaire la salle. Une assemblée conséquente s'était déjà formée une heure avant le spectacle, peuple d'Amatsu, enfants et même l'Empereur et ses gardes. Un brouhaha inhabituel animait la grande place, des marchands profitaient de l'occasion pour brader leurs articles à petits prix, des faiseurs de merveilles fascinaient les plus jeunes, tirant des corolles mauves et autres colombes de leurs chapeaux, et en fond sonore régnait la mélodie forraine d'un orgue de barbarie. Les visiteurs étaient tous habillés en légers kimonos, des tongues aux pieds, un sourire rassasié sur les lèvres.
La jeune souveraine relâcha le pan du rideau pourpre, et fixa les poutres avec inquiétude.
Il ne fallait pas succomber au trac.
Le peuple était venu les acclamer, sous la lumière des lanternes et des artifices, il fallait être à la hauteur. Il fallait l'être pour ne pas faire honte à l'honneur de sa noblesse, même si Calypso savait qu'elle aurait un jeu proche de la perfection, un sentiment de panique lui remuait le ventre. Dans une petite salle, la maquilleuse, la coiffeuse et une gentille costumière allaient s'occuper d'elle comme une reine, une ovation nourrie lui sera offerte, ses parents assisteraient à sa prestation impeccable et l'applaudiraient à tout rompre. Son oncle qui habite encore à Morroc la sifflerait, lui qui avait promit de venir la voir malgré les complications, lui qui avait promit de lui apprendre la flûte traversière. Tout sera parfait. Il n'y avait pas de quoi s'inquiéter, après tout.
Apaisée, elle regagna sa loge, prête à enfiler le masque de cette lointaine étoile ...


Oui, tout avait été parfait. Le public était émerveillé, ces deux petites filles étaient adorables dans leurs beaux habits nacrés, et leurs chevelures immaculées concordaient avec la beauté du spectacle.
Les longues tirades étaient appréciées, la candeur de la princesse admirée, leurs qualités complimentées, et à la fin de la pièce étaient tirés des rubans roses et blancs, des paillettes d'argent ainsi que des sifflements d'engouement. Les acclamations des spectateurs étaient flatteurs, ils étaient bien 500 mais avaient un unique regard : Un regard extasié, affamé d'un tel talent. C'était tout ce qu'ils demandaient. Yuka et Calypso avaient rougit sous les éloges, recouvertes d'une nappe de confettis de toutes sortes de couleur. Tout était merveilleux, magique.
Cependant ...
Penchée, lors du salut à la foule, Caly eut un choc. En face d'elle siégeaient deux places vides, vides de deux présences qui lui étaient capitales. Les places étaient ornées de bijoux d'apparats et cousues d'or, celles-ci étaient donc réservées aux hautes renommées..
Ses parents n'étaient pas venus ...
Ses yeux s'assombrirent, de rancoeur comme de tristesse. Ils étaient censés être là. Ils étaient censés être leurs plus grands spectateurs, fiers de porter la bannière du talent de leurs filles. Leurs applaudissements auraient été les plus forts, les plus emblématiques.
Lorsque les acteurs se replièrent en coulisse, Calypso partit rejoindre Leren.

" Leren ! Leren, attends !! "
Celui-ci se retourna immédiatement au son de la voix de Caly.
" Explique-moi ... Pourquoi !! Pourquoi Papa et Maman ne sont pas venus ? Je suis si triste ... Oh, et puis ça n'a servi à rien alors de jouer sans eux ... "
Le chagrin se traduisait sur le visage poupon de la jeune promise, ses lèvres tremblaient et ses yeux azurs devenaient marins. Le serviteur passait sa main sur sa joue veloutée, comme pour chasser son incompréhension.
" Princesse ... Vos parents n'ont pas pu venir, et je sais que pour rien au monde ils n'auraient manqués cela ... Malgré leurs efforts ils n'ont pas pu se détacher de leurs obligations professionnelles ...
- Oh non, Leren ! Leren, c'est pas juste !! Il y en a toujours pour leur travail ! "
Calypso éclata en sanglot, contenant des gémissements touchants.
" Allons, princesse ... Ne pleurez pas, vous faites couler votre maquillage ... Regardez-moi, oh ma belle, ma plus belle étoile.
- ... Oui ... ?
- Vos parents m'ont chargé de vous donner ceci, pour se faire pardonner de ne pas être venus. Fermez les yeux, tendez les mains. Ne trichez pas, d'accord ? "
Entre ses larmes Calypso hocha la tête et ferma les yeux, ses mains tendues vers Leren. Elle ressentit alors comme un tissu rugueux se déposer sur sa paume, des filets en laine, et quelques parties plus solides. Plusieurs textiles se mélangeaient au gré des sensations, et lorsque la curiosité fut à son paroxysme ...
" Je ... Je peux rouvrir les yeux ?
- Vous pouvez. "

Une superbe poupée d'antan demeurait entre ses mains ... Une robe en tulle rose irisée, des chaussures vernies, la tête en porcelaine et les yeux en verre, elle avait deux grandes ailes de fées opalines où l'océan blond de ses cheveux se répandaient avec grâce. Une broche de cristal y était glissée, aussi brillante que son collier de pierres précieuses ...
Calypso garda deux yeux tout ronds, captivée par cette splendeur.
" C'est ... Pour moi?
- Oui. C'est une petite fée trouvée chez un antiquaire ...
- Une fée? Oh ... Je peux la nommer?
- Bien sûr. Maintenant, quand vos parents ne seront pas là, votre petite fée vous protégera ... "
La fillette eut un grand sourire. Leren la protégeait déjà bien assez, mais cette poupée était tellement belle ...

" Son nom, ce sera ... Lillavy ! "